Des animaux et des hommes–Alain Finkielkraut

Dans son dernier ouvrage, Alain Finkielkraut interroge le lien unissant les animaux et les hommes. A travers la transcription de neuf des émissions “Répliques”, diffusées sur France Culture, il nous présente une partie des enjeux qui se posent dans notre société contemporaine, autour de la question animale. Le principe de l’émission est simple : elle réunit « deux invités [qui] confrontent leurs points de vue sur les grandes – ou petites – questions auxquelles par profession, par curiosité ou par engagement, ils ont été conduits à réfléchir », Finkielkraut étant l’hôte accueillant ses deux invités.

 

Des animaux et des hommes

Face à la corrida, avec Elisabeth de Fontenay et Francis Wolff

 

Francis Wolff est un afficionado. Il l’assume totalement et défend ce qui, selon lui, relève de l’esthétique du sublime. Pour Wolff, le “toro bravo” n’existe que pour la corrida qu’Elisabeth de Fontenay voit comme “une longue torture”. Pour elle nul sublime, nulle grandeur dans ce spectacle. Seulement la souffrance d’une bête affolée et suppliciée. Alain Finkielkraut ne défend pas la corrida mais évoque le déferlement haineux qui a suivi l’aveu qu’il avait fait de son éblouissement en voyant toréer José Tomas. C’est que la corrida, ne concernant pourtant que peu  d’individus, tant humains qu’animaux, a le don d’exacerber les tensions et radicalise les positions.

“J’ajouterai que des vétérinaires, et même des vétérinaires aficionados, ont dénoncé le fait que l’on produisait dans les arènes des taureaux malades. De toute façon, ces animaux ont voyagé dans des conditions de contention atroce, dans des caissons qui les ont complètement ahuris, abrutis, et quand ils arrivent dans l’arène, quand ils sortent du toril, ils viennent de la nuit, du noir.”  (Elisabeth de Fontenay

J’ai beaucoup de mal à accepter que l’on défende la corrida au nom du Beau et du Sublime. Il est possible – je n’en sais rien : je n’ai jamais assisté à une corrida. Seulement à un Toro-piscine quand j’étais gamine ! Et j’avais beaucoup ri tant les vachettes étaient facétieuses et empêchaient les participants de jouer en rond. Je ne sais pas ce que je penserais de ce spectacle aujourd’hui. –  Il est possible donc, qu’il existe exceptionnellement  des moments de corrida sublimes avec des toreros hors du commun. Mais je pense que l’immense majorité des corridas n’est faite que de moments minables où des hommes sans honneur ni sensibilité utilisent de pauvres bêtes terrifiées pour se donner l’impression d’accomplir un rite millénaire.

Pourquoi Finkielkraut a-t-il choisi d’ouvrir son ouvrage avec ce sujet-là ? Pour intense et radical qu’il soit, il n’en reste pas moins marginal au vu de du nombre de sujets concernés. Sans doute est-ce cette radicalité, comme une allégorie de la question animale qui l’a amené à faire ce choix.

 

 

Un noble spectacle. Vraiment ?
Spectacle sublime. Vraiment ? Ou boucherie à prétention esthétisante ?

 

Culture humaine et cause animale, avec Elisabeth de Fontenay

 

Repartant de la question de la corrida, Elisabeth de Fontenay et Alain Finkielkraut se posent celle de l’humanisme et d’où l’être humain doit parler pour évoquer la question animale. La philosophe se revendique spéciste : c’est l’homme en tant qu’être humain et non en temps qu’animal qui est responsable de tous les autres animaux, qu’ils soient proies ou prédateurs. L’un et l’autre sont profondément sensibles à la souffrance animale. Mais ils replacent toujours la question du lien dans une perspective culturelle et historique que l’industrialisation de la production de viande et de lait vient mettre à mal.

“L’élevage était une relation, c’est devenu une industrie, et c’est en effet d’une cruauté inimaginable.” (Elisabeth de Fontenay)

Cette problématique me touche parce que je la ressens très fortement. Je suis en train de devenir végétarienne par conviction. C’est un gros sacrifice pour moi, parce que j’adore la viande. Mais l’idée de  ces bêtes à qui on a retiré toute valeur de sujet, que l’on torture sans haine, à des fins purement productivistes et économiques, m’est insupportable. Cependant,  il m’arrive de penser que si je savais que l’animal a été élevé dans de bonnes conditions et sacrifié avec respect sans connaître la peur ni la solitude, dans une démarche comme celle de Stéphane Dinard, je mangerais à nouveau cette viande, plus volontiers que de la viande de synthèse que j’appelle pourtant de mes vœux.

 

Elevage en batterie

Vive les vaches, avec Benoît Duteurtre et François Morel

 

Dans cette conversation, Benoît Duteurtre, écrivain, et François Morel, auteur aux multiples casquettes, digressent autour de la vache, à partir de leurs livres respectifs,  A propos des vaches et Meuh !.

“J’ignore en fait ce que pense la vache, mais je me demande, moi, en tant qu’être humain : que faisons-nous côte à côte sur cette planète ? Pourquoi sommes-nous là égarés dans ce champ, face à face, si proches depuis la nuit des temps, et en même temps incapables d’échanger un mot ? Pourquoi sommes-nous ici dans ce mélange de familiarité extrême des êtres vivants, et de distance infinie entre ceux qui ne pourront jamais vraiment se comprendre ?” (Benoît Duteurtre)

 

Vache

Petits paysans, avec Hubert Charuel et Vincent Delargillière

 

Hubert Charuel, cinéaste, a en commun avec Vincent Delargillière le monde de l’élevage. Son film, Petit paysan , raconte l’histoire d’un jeune éleveur qui découvre qu’une bête est atteinte d’une maladie qui devrait faire abattre tout le troupeau. Ce qu’il ne peut accepter. Avec Vincent Delargillière, il évoque l’élevage à taille humaine où la vache existe encore en individu.

“Ce qui aussi est saisissant dans votre film, c’est que le petit paysan continue à donner des noms à ses vaches. Elles ont des numéros à l’oreille, puisque c’est maintenant obligatoire, mais il s’obstine. Un lien existe entre lui et ses vaches, il les traite les unes et les autres comme des individus.” (Alain Finkielkraut)

 

Petit paysan

 

L’élevage en question, avec Jocelyne Porcher et Yann Sergent

 

Jocelyne Porcher, sociologue et Directrice de recherches à l’INRA, s’oppose à Yann Sergent, vétérinaire impliqué dans de nombreuses expériences d’élevage. La première défend un modèle d’élevage à taille humaine où existe encore une relation de travail entre l’homme et l’animal et où ce dernier a encore accès à des conditions de vie propices à son univers propre (son umwelt, en quelque sorte). Le second ne considère  pas comme un problème que l’animal, la vache en l’occurrence, vive dans des conditions entièrement créées par l’homme, comme dans la Ferme des mille vaches. Selon lui, ses besoins fondamentaux sont respectés et elle peut y vivre selon son propre rythme. Les coûts de production sont plus élevés dans le premier système que dans le second mais c’est le prix de la qualité qui fait défaut dans la production de masse.

Jocelyne  Porcher, elle aussi, se réclame du spécisme. De par son histoire et sa culture, l’homme n’est pas un animal comme les autres. D’où sa défense d’un élevage où la relation entre l’homme et l’animal est forte même si elle est à réinventer à chaque époque. L’industrialisation de la production animale brise ce lien.

“Ce n’est pas, je crois, faire  preuve d’anthropomorphisme que d’être choqué par l’enfermement et l’isolement des animaux. Les vaches ne voient jamais l’herbe ni le ciel, elles vivent dans des logettes d’où elles ne sortent que trois fois par jour pour la traite. Ouvrières et machines, rien d’autre. Est-ce ainsi que les vaches doivent vivre ?” (Alain Finkielkraut au sujet de la Ferme des mille vaches)

Il est difficile de ne pas être d’accord avec Jocelyne Porcher. Ce n’est pas faire de l’anthropomorphisme que de considérer qu’une température idéale, une hygrométrie idéale, une formule nutritionnelle idéale… ne font pas le plaisir de vivre.  Le Meilleur des mondes d’Huxley nous le rappelle. Ce sont des milliers de petites choses incontrôlables qui construisent une vie bonne à vivre.

 

Ferme des mille vaches

La littérature et la condition animale, avec Isabelle Sorente et Jean-Baptiste Del Amo

 

Isabelle Sorente, auteure de 180 jours et Jean-Baptiste Del Amo, auteur de Règne animal, explorent  la souffrance animale dans la production industrielle. Isabelle Sorente a mené une enquête de dix mois dans des élevages et des abattoirs.  Tous deux pointent les conditions de vie épouvantables qu’ont les animaux dans ces structures. Si Isabelle Sorente garde une perspective humaniste et soutient le travail de Jocelyne Porcher, Jean-Baptiste Del Amo est, lui, plus radical.  Rien n’est à sauver du lien entre hommes et animaux tel qu’il a existé jusqu’à présent. Son point de vue est antispéciste et rejoint ainsi celui de mouvements comme L214.

“La technologisation et la segmentation du travail, l’industrialisation des processus de mise à mort sont redoutables parce qu’ils agissent comme des anesthésiants.C’est notre humanité que nous prenons le risque d’anesthésier, et depuis le XXe siècle, nous savons jusqu’où cette anesthésie peut aller. Ce qui est terrible, c’est qu’il suffirait peut-être d’un échange de regards pour que la prise de conscience ait lieu (…).  Mais des gens peuvent aussi passer leur vie entière sans que le regard de l’autre les trouble jamais.” (Isabelle Sorente)

Des 9 dialogues de ce livre, celui-ci est le plus éprouvant  tant les évocations de l’univers concentrationnaire dans lequel vivent les animaux sont douloureuses à lire. On entre dans le concret de la souffrance et ce qui est raconté est insoutenable. Celle qui vous dit cela n’a jamais été capable de regarder une des vidéos de L214.

 

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Faut-il politiser la cause animale ? , avec Corinne Pelluchon et Jean-Pierre Digard

 

Partant de la question du droit, Corinne Pelluchon, philosophe et Jean-Pierre Digard, ethno-anthropologue,  s’interrogent sur la place accordée à la question animale dans nos sociétés. Comme dans presque tous les dialogues, ils en viennent à évoquer la souffrance animale dans l’élevage intensif mais également comment considérer la place de l’animal sauvage, touché lui aussi par les activités humaines.

“La question animale est inséparable du type de société dans lequel nous voulons vivre. C’est donc une définition substantielle du politique qui est en jeu ici.” (Corinne Pelluchon)

 

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Ce que les animaux donnent à voir, avec Jean-Christophe Bailly et Jacques Dewitte

 

Lisez ce dialogue et indiquez-moi dans les commentaires ce que vous en avez compris.

“Je prends soin de ne jamais écrire l’ouvert avec une majuscule, parce qu’à ce moment-là, on entre dans une solennité, et l’on voit bien, par ce seul problème, le hiatus qu’il y a dans le langage, dans l’acte de la dénomination.” (Jean-Christophe Bailly)

C’est facile, ça, Françoise : prendre une citation hors de son contexte et prétendre n’y rien comprendre ! Je n’ai qu’à réfléchir…

 

Niki, l’histoire d’un chien, avec Claude Habib et Pierre Pachet

 

Niki est une chienne qui vit dans la Hongrie communiste des années 50.  Mais ce personnage n’est pas une simple métaphore de la situation sociale et politique. C’est un vrai personnage, au premier plan du récit, autour duquel gravitent de nombreuses figures emblématiques de cette époque. L’auteur, Tibor Déry, “a été un des acteurs principaux de cette révolution d’octobre 1956. Il était un de ceux qui ont demandé l’abolition de la torture.” (Pierre Pachet)

 

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A travers ces neuf dialogues où il intervient régulièrement, Alain Finkielkraut exprime le souci qu’il a de la condition animale. Il apparaît, comme l’honnête homme qu’il est, soucieux de replacer la question dans son contexte historique et culturel. Son humanisme conduit le philosophe à considérer avant tout le lien que l’homme entretient avec l’animal, cherchant comment en éradiquer le pire pour n’en garder que le meilleur, celui qui donne du sens au fait d’être humain.

 

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