À Betty Plume, à Kamail’, à Nuage… à tous ces animaux qui ont rejoint le paradis des bêtes bien-aimées.
Un jour, ils s’en vont et nous restons.
Lorsque j’étais enfant, voyant le chagrin que j’éprouvais à la mort de mon chat, ma grand-mère m’avait dit d’un ton sévère : “Tu me pleureras moins, quand je serai morte.” Et bien pauvre Mamie, tu avais raison : il peut arriver que l’on éprouve plus de souffrance lors de la perte d’un compagnon animal que pour celle d’un proche tant il est vrai qu’on n’a pas forcément la maîtrise de ses affections. A cela se rajoutait le poids d’une enfance catholique : les animaux ne vont pas au Paradis. Quelle injustice ! Comment accepter un monde où les animaux ne vont pas au Paradis ? C’était tout l’enjeu de l’acceptation de la mort.
Perdre le compagnon des jours
“C’est sa petite tête calée dans ma main, qu’elle a fermé les yeux pour de bon, quittant notre vie et le petit halo de bonheur qu’elle avait créé pour nous. Il me fallait être à ses côtés jusqu’au bout, c’était la moindre des choses, face à tout ce qu’elle nous a donné.[…] J’aurais aimé continuer à ses côtés de tracer ce chemin improbable du petit poulet comme animal de compagnie. J’aurais aimé faire plus de photos ou de vidéos, mais ce n’était pas son truc. Les souvenirs, ils sont et ils resteront dans notre cœur et notre mémoire, ancrés profondément, passionnément. Nous avions encore tant de choses à faire ensemble, que tout cela a un goût d’amertume et d’inachevé.” C’est ce qu’écrit Gaëlle, dans son blog Œuf poule poussin, à la mort de sa poulette Mascot’ qui s’est éteinte après s’être affaiblie de jour en jour.
Qu’ils soient chien, chat, poule, cheval, faisan, furet…, leur départ est la même source de désarroi. Qu’on ait vécu à leurs côtés cinq mois ou vingt ans, toute la complicité des moments partagés, tous les échanges, les moments de partage… Tout cela disparaît du réel quand un animal meurt. Et la béance qui s’ouvre alors n’est pas moins grande que celle qui s’ouvrirait pour un être humain.
Sans doute y a-t-il eu dans l’histoire de grands chagrins ou de furtives larmes pour le départ d’un animal bien-aimé mais notre époque est celle qui voit se développer et s’affirmer ce chagrin-là. Sans doute parce que nous avons laissé entrer les animaux dans nos maisons et dans nos cœurs, qu’ils sont devenus des membres de la famille lorsqu’il y a quelques décennies encore, ils ne franchissaient pas le seuil et qu’on gardait avec eux une importante distance affective. Les animaux qui habitent nos foyers n’ont plus de fonction utilitaire mais appartiennent au groupe à égalité avec les humains qui le composent bien souvent. Leur disparition entraîne un grand chagrin car c’est, au sens propre, la disparition d’un proche.
Subir l’incompréhension
Et la société renvoie souvent une drôle d’image en niant cette souffrance. “Enfin ! ce n’est qu’une poule.” ou alors “Ton chat est mort ? Prends-en tout de suite un autre.”, “Tu ne vas pas te mettre dans un état pareil pour un chien !”, “Ca vit combien de temps, normalement, un cheval ?”. Combien de personnes préfèrent taire leur chagrin plutôt que d’affronter cette incompréhension.
“Bonsoir, cela fait un mois que mon chien est parti. […]. Je n’avais que 21 ans quand nous nous sommes rencontrés. Il était tout moi, mon ami, mon bébé, mon confident. Il avait traversé toutes les péripéties de ma vie, cette force à s’adapter très rapidement au changement. Il me suivait partout. C’était un amour sans concession, sincère, pur et vrai. Depuis son départ, ma vie a basculé, je suis accompagnée mais je me sens si seule. Il me manque terriblement. Son absence est une douleur vive et déchirante. Je lutte dans mon quotidien. Ses poils, ses petites pattes et sa petite bouille me manquent. Je commence tout juste à accepter. Mais j’ai dû mal à en parler ouvertement à mon entourage de peur d’être jugée. Je pleure donc en silence. J’ai besoin d’avoir des paroles réconfortantes. Merci à vous.” Dans ce témoignage de Nadjol, sur un forum, toute la douleur de la perte de l’être aimé se retrouve : le souvenir, le manque, l’amour perdu, la solitude.
Mais se rajoute à cette douleur l’impossibilité de l’exprimer : “de peur d’être jugée”, tant notre société n’a toujours pas intégré la valeur de tout être vivant ni ne comprend que ce qui crée la souffrance, c’est l’investissement affectif que l’on avait pour l’animal disparu.
Vivre un deuil
Dès lors, les étapes successives que l’on traverse tous lorsque disparaît l’être aimé sont parcourues les unes après les autres. Déni, colère, culpabilité, dépression, acceptation. Chacune d’elle sera plus marquée selon la façon dont l’animal sera mort.
Lorsque Betty Plume, ma petite faisane, a disparu, je l’ai attendue, appelée. Et même quand il était évident pour toute autre personne qu’elle ne reviendrait plus, j’ai continué de croire à son retour. Je laissais la baie vitrée ouverte quand je quittais la maison, avec une coupe de céréales et les bananes qu’elle aimait tant, pour quand elle rentrerait ; j’ai lancé une couveuse d’œufs de faisans pour qu’elle ait des compagnons quand elle rentrerait ; j’allais l’appeler au bord du pré soir et matin en me disant que cette fois-là, j’entendrais son petit cri flûté et elle rentrerait. Elle n’est jamais rentrée… Même encore, n’ayant pas vu son petit corps pour être sûre de sa mort, il m’arrive d’être dans le déni et de me dire : “Elle va rentrer.”
Comment ne pas être en colère contre la personne qui a écrasé votre chat, même si l’accident était inévitable, même si l’animal était au mauvais endroit, au mauvais moment. Et parfois, cette rancœur se retourne contre soi quand on a le sentiment d’avoir été l’outil de cette mort, sans l’avoir voulu. Ou quand on s’en veut de ne pas avoir été là dans les derniers moments.
Il n’y a qu’un pas dès lors vers la culpabilité. “il m’a suivi alors que je partais de chez moi et je n’ai pas fait attention. Tout à coup j’ai tourné la tête et je l’ai vu sur le dos agité par des spasmes. Il a eu la nuque brisée par une voiture et est mort dans les secondes qui ont suivi. Il n’avait que 8 mois. Je me sens vraiment coupable et n’arrive pas à me défaire de ce sentiment. Cela fait déjà presque un mois mais dès que j’y pense la culpabilité m’envahit,” témoigne Ulysse31. Ce que nous avons fait, ou n’avons pas fait : tout nous condamne. Si je fais euthanasier mon chien en fin de vie parce qu’il souffre sans espoir de rémission, je me sentirai coupable, même si j’ai fait le bon choix, parce que je n’ai pas cru en la vie et que c’est ma décision qui a mené à la mort.
Aussi, quoi d’étonnant à ce qu’on en vienne à une immense tristesse. Le vide, le manque qui s’installent. Les larmes, l’envie de ne rien faire. Cette interrogation : mais comment vais-je pouvoir vivre sans elle, sans lui, avec ce vide qui occupe tout l’espace autour de moi ? Cette phase de dépression est si réelle que certaines entreprises des États-Unis ou du Canada accordent des journées de congés en cas de décès dans la famille, ce qui inclut les animaux domestiques.
Alors peut-être, arrive l’acceptation de ce qui est. Je me dis souvent que j’ai eu une chance infinie de pouvoir vivre auprès de cette petite faisane, que j’ai eu un trésor avec moi pendant une année et que c’était quelque chose de rare et de précieux. Et cette pensée rassérène, peut même faire venir un sourire. Quelque chose de rare et de précieux…
Le rituel
Sur le chemin de l’acceptation se trouvent ces gestes que l’on va accomplir pour donner sens à la perte.
Pour certains, il s’agira d’enterrer Minet au fond du jardin et de matérialiser la tombe pour qu’on se souvienne. D’autres désirent formaliser ce moment plus encore et vont s’adresser à des crématoriums et des cimetières pour animaux, ce qui donnera lieu à une cérémonie formelle semblable à celle d’un être humain. On ne pourra plus dire, “être enterré comme un chien” !
Personnellement, lorsqu’une poule meurt chez moi, j’amène son corps tout au fond du terrain et l’expose pour que le renard vienne le chercher, ce qu’il ne manque jamais de faire. Et chaque fois, je plante un beau rosier afin de ne pas oublier la poulette disparue. Pour Betty Plume, je planterai un grand albizia qui fera de l’ombre au poulailler et sur les branches duquel elle aurait aimé se percher.
Un jour vous partez et nous restons
Les humains ne sont pas les seuls à souffrir de la mort d’un être aimé. Les animaux aussi éprouvent du chagrin lorsque celui qui partageait leur vie s’en va. Nous avons tous en tête ces histoires pathétiques de chiens ou de chats qui vont sur la tombe de leur maître décédé et ne veulent plus la quitter. Différentes explications sont données à ce comportement, explications qui essaient de dépasser l’anthropomorphisme. Mais est-il vraiment inimaginable qu’un animal ressente le manque au même titre qu’un être humain ? Après tout que pouvons-nous savoir de la représentation qu’un animal peut se faire de la mort, selon son espèce ?
Quels que soient notre âge et notre situation familiale, il est toujours bon de faire savoir à nos proches, verbalement ou par écrit, ce que nous voulons pour les animaux qui dépendent de nous, ce qu’ils deviendront en cas de décès. Il n’est pas inutile d’avoir envisagé différentes solutions pour éviter à l’animal un stress supplémentaire. Ce d’autant plus que nous vieillissons et sommes d’une santé précaire : il est impératif d’avoir pensé et trouvé des solutions concrètes que l’on fait connaître. Nous ne voulons pas que des êtres qui nous ont donné tant d’amour se retrouvent dans le désarroi et la précarité.
Les animaux ne souffrent pas seulement quand leur humain d’attachement meurt. La disparition d’un compagnon de jeux, de la même espèce ou pas, amène également beaucoup de confusion et de tristesse. Comme pour son maître, l’animal peut entrer en dépression. Cela ressemble beaucoup à une dépression humaine : perte d’appétit, sommeil excessif, désintérêt… De nombreux symptômes expriment la perte de repères.
Lorsque Bécotte, l’une de mes deux premières poules, est tombée malade, l’autre, Ricotte, est restée auprès d’elle, s’éloignant peu, revenant toujours à ses côtés. Bécotte se mourait. Un jour, Bécotte ne pouvant plus profiter de quoi que ce soit dans l’existence, je l’ai amenée chez le vétérinaire, une fin d’après-midi, pour qu’elle soit euthanasiée. Ricotte était couchée lorsque je suis rentrée. Le lendemain matin, elle s’est mise à courir de place en place, en hurlant. Elle se rendait à chaque endroit où elles avaient toutes deux coutume de se reposer. Elle hurlait. Elles étaient arrivées ensemble à la maison, elles avaient toujours tout fait ensemble. Une grande béance s’était ouverte au côté de Ricotte. La vie a repris son cours peu après. Mais il était évident que Ricotte avait expérimenté l’absence.
La mort de l’animal bien-aimé est un moment auquel il n’est pas possible d’échapper. C’est notre condition d’être vivant. Nous savons, lorsque nous accordons notre affection à un animal dont l’espérance de vie est plus courte que celle de notre espèce, que nous aurons à vivre et traverser ces cruels moments. Même si nous nous y sommes préparés, ils n’en sont pas moins durs. Nous devons accepter de passer par toutes les étapes du deuil en espérant nous retrouver de l’autre côté, le côté de la vie, le côté où nous nous sentirons prêts à renouer un lien avec un nouvel animal.
Avez-vous vécu ce terrible moment ? Comment avez-vous réussi à le dépasser ?
Je ne m’interrogerai pas dans cet article sur la façon dont nous vivons la mort de tous les animaux dont nous ne sommes pas proches affectivement. Néanmoins, je vous conseille la lecture de cet article paru dans Sciences et Avenir : Des psychologues s’interrogent sur notre capacité à accepter la mort des animaux.
Très bel article sur un sujet difficile et ô combien sensible qui ne peut pas laisser indifférent puisque, comme tu en parles si bien, nous vivons souvent bien plus longtemps qu’eux ! Pensées et caresses à tous nos fidèles compagnons de vie, hommage à cet amour qu’ils nous ont apporté et que je chéri chaque jour !
Merci, Sophie. Je pense qu’il n’existe pas une personne aimant une créature qui ne souffre à l’avance de devoir la perdre. Et comme tu le dis si bien, nous chérissons ceux qui nous ont quittés.
Très bel article, j’ai moi-même éprouvé le besoin d’écrire un hommage à mon chat lors de sa mort. Les animaux nous donnent tant, avec tellement d’innocence et de pureté. C’est un petit bout de nous qui s’envole lorsqu’ils partent.. Beaucoup de tendresse à Betty Plume, Kamail’, Nuage et tout les autres qui t’ont apporté tant de bonheur.
Oui, comme tu le dis, un petit bout de nous qui s’envole et qui laisse un vide terrible et un manque profond.
L’affection que l’on porte à nos animaux rend effectivement leur départ plus difficile. Et comme tu le soulignes si bien, je pleure bien souvent, plus volontiers mes animaux que les humains…. peut être parce que leur dévouement et leur implication n’est pas la même non plus… ?? 😉
Oui. Il y a une pureté, une innocence dans leur manière d’aimer, loin de tout jugement, de toute morale qui forcent le respect et donnent le désir d’aimer en retour en espérant être à la hauteur de cet amour.