Un grand livre.
L’étreinte dont il est question dans le livre, vous l’avez peut-être vue au détour d’internet. Mama, une chimpanzé âgée de cinquante-neuf ans, est très malade. Sans doute mourante. Un homme octogénaire entre dans sa cage. Un vieil ami, Jan van Hooff. Quand elle le reconnaît, Mama l’embrasse, le caresse et le console. Un immense sourire s’épanouit sur son visage de vieux singe. Mama est morte une semaine plus tard.
Ce moment bouleversant rappelé par Frans de Waal est le point de départ de la recherche que cet homme mène depuis des décennies : celles des émotions chez les animaux.
Parce que contre toute évidence, il existe encore des scientifiques, éthologues, qui dénient aux animaux de ressentir des émotions.
De Waal présente Mama, qu’il a bien connue au zoo d’Arnhem, aux Pays Bas. Elle était la matriarche du groupe. Son rôle dominant venait de sa personnalité qui imposait le respect. Elle avait le sens de l’humour. Elle était une médiatrice avisée dans les conflits agitant la colonie.
Une société de chimpanzés est un monde extrêmement complexe, mais aussi un miroir tendu à notre monde humain tant il est évident qu’ils sont nous et que nous sommes eux.
Le deuil, le rire, le sourire, l’empathie et la sympathie, la malveillance, le dégoût, la honte, la culpabilité, la peur, la gratitude, l’orgueil, l’attachement, l’amour, la soif de pouvoir, le sentiment d’équité… Tout cela, nous l’avons reçu en partage. Et les hommes sont vains de croire qu’ils sont seuls à l’éprouver. Anthropomorphisme, direz-vous. Anthropodéni, vous répondra Frans de Waal. “L’argument de l’anthropomorphisme, enraciné dans l’idée que l’homme est unique, répond au désir de mettre les êtres humains à part et de renier leur animalité. C’est le fonds de commerce de beaucoup de gens de lettres et de chercheurs en sciences sociales qui vivent de l’illusion que l’esprit humain aurait été plus ou moins inventé par nous.”
Quelle différence y a-t-il entre un singe capucin qui envoie balader le concombre qu’on lui tend alors qu’on a donné au voisin du raisin pour la même tache, et moi qui rumine dans mon coin parce que mon collègue de travail a eu un avantage qui m’est refusé. Aucune ! Nous sommes tous deux malmenés par notre sens de l’équité bafouée et refusons alors de coopérer.
Malheureusement pour l’image rassurante et lénifiante que nous pouvons avoir des animaux, les chimpanzés sont capables de malveillance et même de meurtre prémédité. Exit l’idée de l’innocence qui serait le pendant de la perversité humaine…
Frans de Waal ne va pas jusqu’à parler des sentiments des animaux. Pour une raison très simple : pour lui, les sentiments sont des “états intérieurs subjectifs qui (…) ne sont connus que de celui qui les éprouve.” Sans langage, il ne peut y avoir d’accès aux sentiments. Nous ne saurons sans doute jamais si les animaux les éprouvent.
Bien sûr, cette proximité enfin explorée avec les animaux ne peut que nous amener à reconsidérer nos rapports avec les bêtes. “Si les animaux sont des rocs, rien n’empêche de les balancer en tas et de les piétiner, S’ils n’en sont pas, nous sommes face à un sérieux dilemme. En ces temps d’élevage industriel, la question gêne, comme un éléphant dans un magasin de porcelaine.”
Frans de Waal, avec sa rationalité et sa rigueur de scientifique nous parle de nos émotions et de celles de nos semblables, les animaux. Convaincra-t-il ceux qui ne veulent rien entendre et s’accrochent désespérément à la hiérarchie entre hommes et bêtes ?
Frans de Waal est docteur en biologie, professeur de psychologie à l’université Emory et directeur du Living Links Center, au Yerkes National Primate Research Center, à Atlanta, aux Etats-Unis. Il est l’auteur de nombreux ouvrages sur les animaux dont Sommes-nous trop “bêtes” pour comprendre l’intelligence des animaux ?, paru en 2016. Comme la Dernière étreinte, ce livre a été publié en France par les éditions Les Liens qui Libèrent. (Franchement, une maison d’édition avec un nom comme ça, ça donne envie de lire, non ?)
J’avais entendu parler de cette histoire -particulièrement touchante et qui montre encore une fois l’intelligence émotionnelle des animaux- cependant je ne connaissais pas le livre.Tu m’as donné très envie de parcourir ses pages.Merci pour ce bel article !
😀