Cet article est ma contribution à l’événement inter blogueurs, « Les trois livres qui ont changé votre vie » du blog Des livres pour changer de vie dont l’article que je préfère est Dix romans historiques exceptionnels pour voyager dans le temps.
C’est difficile de trouver trois textes et seulement trois : à chaque dernière page, notre vie se trouve quelque peu infléchie. Nous sommes allés vivre ailleurs, le temps de la lecture. Nous sommes entrés dans le monde d’un auteur et parfois nous en avons compris quelque chose de la géographie, de l’histoire. Parfois, les choses se passent à notre insu et c’est comme par magie que nous avons grandi. Certains livres sont des balises à des moments de notre vie. Des phares qui éclairent des chemins que nous cherchions dans l’obscurité.
Alors comment choisir parmi toutes ces balises ? Nous retiendrons les critères proposés par Anaïs du blog Accordons nos différences :
- La lecture de ces livres a été comme une révélation pour moi,
- elle m’a incitée à prendre un nouveau chemin.
C’est donc selon ces critères que je vous propose ma sélection de livres ayant changé ma vie.
Première balise : Alice au Pays des merveilles de Lewis Carroll
Du diable si je me souviens de l’âge que j’avais lorsque j’ai lu ce livre pour la première fois. Il y en a eu beaucoup d’autres lectures depuis. Mais je me souviens de la révélation que fut cette première. En suivant Alice sur les traces du lapin blanc, je pénétrais dans un monde où le réel laisse place à l’onirique, où chaque moment est fait de l’étoffe des rêves ou des cauchemars. L’humour absurde de Lewis Carroll, mathématicien épris de logique, le nonsense anglais, amènent le frottement du réel et de l’imaginaire en proposant des clés.
Pour la petite fille que j’étais, la chenille fumant le narguilé sur un champignon et évoquant en toute sérénité les métamorphoses chaotiques d’Alice, le bébé se transformant en cochon, l’énigmatique chat du Cheshire qui pose une nouvelle frontière entre la folie et la raison, tous ces animaux me guidaient aux côtés d’Alice dans la rude tâche de grandir. Celle que l’on accomplit naturellement, qui semble aller de soi mais qui traîne derrière elle ce désarroi de l’identité : à travers toutes ces métamorphoses successives, qui suis-je ? La même qu’hier ? Arriverai-je jusqu’à demain ?
Bien sûr, une petite lectrice ne se pose pas consciemment ces questions. Elle est toute entière dans le plaisir de la lecture mais la réflexion se fait en elle, malgré elle. Me réveillerai-je un jour de ce malaise qu’est grandir ?
Deuxième balise : Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline
Suivre Bardamu n’est pas une mince affaire non plus. La guerre, l’Afrique, New York, la banlieue parisienne… Chaque voyage vous ramène à vous-même et au côté poisseux de l’existence.
Cette lecture, jeune adulte, est un choc. Choc littéraire, d’abord, par ce style si proche de la langue orale et pourtant si travaillé. Par cette jubilation de l’absurde, ce réel auquel on va cogner son museau encore et encore. Suivre Bardamu jusqu’au bout de la nuit, quand on est encore plein d’illusions, c’est entrapercevoir que la vie n’a pas de sens et qu’au mieux, il faudra essayer d’en trouver un pour ne pas perdre pied dans les ténèbres.
Le rapport avec l’univers des animaux ? me direz-vous. Ces moments où le soldat Bardamu évoque avec compassion les souffrances vécues par les chevaux pendant la Grande Guerre. Comme tous les écrivains ayant participé à la guerre de 14, Céline montre à quel point ces animaux sont maltraités par indifférence, parce que c’est la guerre. Et ces grandes douleurs muettes sont les fruits d’autant de crimes contre l’innocence des bêtes et l’innocence du monde.
Troisième balise : Le Murmure des fantômes de Boris Cyrulnik
“Il n’est pas nécessaire d’être mort pour ne pas vivre.”
Le Murmure des fantômes est le troisième ouvrage dans lequel Boris Cyrulnik , neuropsychiatre, éthologue, psychanalyste, développe l’idée de résilience. Mais c’est celui que j’ai lu en premier. Cette fois, il met en parallèle deux personnages (deux personnes ?) dont les douloureux débuts dans l’existence sont similaires mais dont les trajectoires diffèrent parce que l’un aura trouvé autour de lui des piliers de résilience et l’autre pas. Marilyne Monroe, malgré sa beauté, sa chaleur, l’incommensurable succès qu’elle a connu, ne sera jamais vivante et nous n’entendrons pas le murmure des fantômes du passé qui hurlaient dans son coeur.
Hans Christian Andersen est né dans un milieu extrêmement pauvre du Danemark du XIXème siècle, a grandi entouré d’une grand-mère et de parents aimants bien qu’en grande difficulté eux-mêmes. Le petit peuple de la rue, le trésor culturel de ce petit peuple, ont aidé Hans Christian à grandir et ont été pour lui, avec l’affection des siens, des piliers de résilience. L’enfant a grandi dans la fange mais a côtoyé les grands beaux cygnes qui l’ont estimé.
“Personne ne prétend que la résilience est une recette de bonheur. C’est une stratégie de lutte contre le malheur qui permet d’arracher du plaisir à vivre, malgré le murmure des fantômes au fond de sa mémoire.”
L’intelligence bienveillante qui sourd de chaque écrit de Boris Cyrulnik, comme de chaque entretien filmé ou publié pose une espérance là où il ne semblait exister que le désarroi au mieux ou l’agonie psychique.
Une lumière au bout de la nuit : Raggle taggle gypsy par les Water Boys
Alors que j’obtenais un poste fixe dans un établissement scolaire, une réalité s’est imposée à mon esprit : je n’avais jamais quitté l’école et j’étais bien partie pour y rester enfermée à jamais. Il fallait faire quelque chose. Une chanson m’a dit quel chemin je devais suivre. Et j’ai pris deux années sabbatiques pour aller vivre en Irlande. J’y ai vécu de petits boulots : ménage et service dans un B&B, cours de français, heures de conversation, travaux divers chez un éleveur de chevaux…
Il n’a pas été facile de sauter le pas. Cela m’a obligée à sortir de ma zone de confort – comme on dit en développement personnel – et m’a occasionné de belles angoisses. A chaque fois, il suffisait que j’écoute Raggle Taggle Gypsy pour que les doutes s’effacent. Non, on ne peut pas vivre seulement suivant la raison, oui, il faut parfois se lancer, sauter dans le vide. A leap of faith, dit-on en anglais. Lorsque le ferry a quitté le quai, je suis restée recroquevillée pendant une heure dans un coin du bateau avant d’entendre dans ma tête la petite musique entraînante et de me déplier pour vivre l’une des belles aventures de ma vie. Suivre son désir est plus important que de rester dans sa maison et son argent, sous ses confortables couettes en plumes !
What care I for my money-o?
I’d rather have a kiss from the yellow gypsy’s lips
I’m away wi’ the raggle taggle gypsy-o! »
Un beau partage qui me donne envie de relire Céline et de me plonger d’urgence chez Boris Cyrulnik, que je n’ai jamais lu mais juste écouté!
Bravo d’avoir sauté le pas et suivi tes envies!!