Jefferson – Jean-Claude Mourlevat

Jefferson

Un polar bien ficelé

 

JeffersoJefferson trouve le corps de M. Edgar.n Bouchard de la Poterie est un jeune hérisson à la taille plus courte que son nom, puisqu’il ne mesure que 72 centimètres de haut. Il vit dans une petite maison au bord de la forêt où il mène une vie bien réglée.

Un jour, il décide de se rendre chez le coiffeur pour se faire rafraîchir la houppette. En chemin, il échappe de peu à un accident mais parvient néanmoins à la bibliothèque où il a ses habitudes, pour rendre un livre qu’il a adoré, Seul sur le fleuve,  où Chuck, le héros, traverse “toutes les épreuves avec un courage indomptable”.

Lorsqu’il arrive au salon de coiffure Défini-Tif, tenu par M. Edgar, blaireau, il trouve la porte close. Par la vitre, il aperçoit une chèvre dormant sous le casque séchant mais personne d’autre. Pas même Carole, la nièce de M. Edgar dont Jefferson est un peu amoureux. Il décide d’aller voir ce qui se passe à l’arrière de la boutique et y pénètre. Horreur ! il découvre le corps sans vie de M. Edgar, des ciseaux plongés dans la poitrine. Par un mauvais réflexe,  il saisit les ciseaux et c’est le moment que choisit la chèvre sous le casque pour se réveiller.

A partir de là, Jefferson se retrouve poursuivi par la police, devenu ennemi public numéro 1. Son ami Gilbert, un jeune cochon, l’aide à se cacher et ils décident tous deux de trouver le véritable coupable. Leur enquête les mène à Villebourg, au pays des humains, où ils se rendent en car avec tout un groupe d’animaux participant à un voyage organisé. Roxane, une jeune humaine aux cheveux roux flamboyant leur sert de guide.

Du suspense, de l’humour frais et léger, des scènes d’action palpitantes dont une où on se prend à murmurer : “S’il te plaît, M. Mourlevat, ne laisse pas tuer Jefferson !”… Tous les ingrédients d’un vrai polar sont là.

 

Un anthropomorphisme aux racines littéraires

 

Jean-Claude Mourlevat renoue avec le roman animalier dans Jefferson. Les héros du livre sont hérisson, cochon, blaireau, chèvre… Ils lisent des livres, vont chez le coiffeur, mangent des pommes de terre à la crème, envoient des SMS sur leur téléphone portable. Ils appartiennent à une catégorie bien particulière d’animaux. Jefferson, un peu ivre, présente ainsi la façon dont les humains voient le monde animal :

“ […] c’est comme s’il y avait plusieurs catégories d’êtres vivants, tu vois, avec une hiérarchie bien claire. Tout en haut, les humains, pas peu fiers de leur supériorité. En dessous, il y a nous, que les humains regardent de haut, mais bon, on a la parole, on peut se défendre, un peu. En dessous encore, les animaux de compagnie, qui n’ont pas la parole mais que les humains ont choisis, à qui ils donnent des noms et hedgehog-child-1759027_960_720qu’ils protègent. Et en dessous, tout en bas, il y a la sous-catégorie des animaux d’élevage, des animaux de boucherie, quoi… Et alors là, mon ami, ça craint !”

Dans le monde réel, les humains existent, les animaux de compagnie existent, les animaux d’élevage existent. Alors, qu’en est-il de Jefferson et de ses compagnons ? Qui sont ces animaux bien de chez nous qui se comportent comme des hommes ?

Les héros de Jefferson sont de la famille de Babar, des personnages des Fables de La Fontaine ou de la Ferme des animaux d’Orwell. Ces créatures de fiction permettent toutes les fantaisies de l’imaginaire. Entre le monde des humains et celui des animaux de compagnie, comme le dit Jefferson un peu plus haut, ils prennent de l’un et de l’autre les caractères qui en font des personnages attachants. La mignonne petite bouille du hérisson et la personnalité d’un jeune homme à l’avenir ouvert devant lui pour Jefferson, le groin charmant de Gilbert et son caractère enjoué… L’anthropomorphisme est un ressort de la fantaisie mais permet aussi dans ce livre-là de rendre plus fort encore le nœud de l’intrigue et le “message” de l’auteur.

Un texte engagé

 

Ici, Jefferson et Gilbert nous tendent un miroir où nous contempler. Parfois en toute légèreté, comme ça, en passant, comme lorsqu’ils ont dû s’habiller en filles, qu’ils sont sifflés dans la rue et qu’ils n’apprécient pas ; ou lorsque Gilbert constate qu’on ne gagne pas beaucoup de temps en roulant comme un fou sur l’autoroute.

Parfois, le miroir est grimaçant et ce qu’on y aperçoit est glaçant tant nous sommes indifférents à la souffrance que nous créons sans vouloir la regarder en face.  Ce qui se passe dans le secret des abattoirs, ce que des associations comme L214 nous ont obligés à regarder, Jean-Claude Mourlevat le raconte en quelques lignes, dans un style simple, sans pathos, mais qui fait naître une émotion poignante. Et nous, humains, sommes contraints à contempler notre laideur…

Le sort des animaux d’élevage, l’industrialisation de leur massacre, la cruauté de leur mise à mort, l’insensibilité à leur souffrance, toute l’inhumanité de l’humanité.

L’auteur

 

Jean-Claude Mourlevat est né en 1952 à Ambert, en Auvergne. Il fait des études à Strasbourg, Toulouse, Bonn et Paris, et exerce pendant quelques années le métier de professeur d’allemand avant de devenir comédien et metteur en scène de théâtre. A partir de 1997, il se consacre à l’écriture. Tout d’abord des contes, puis son premier roman, La Balafre, publié en 1998. Depuis, les livres se succèdent avec bonheur, dont un autre roman animalier, La Ballade de Cornebique, paru en 2003, plébiscités par les lecteurs, la critique et les prix littéraires. Jean-Claude Mourlevat a deux enfants et réside avec sa famille près de Saint-Etienne.

Quand 120-mourlevat-jean-claudeon lui demande : “Pourquoi écrivez-vous ?”, il répond :

– Parce que je chante mal. Ecrire est une consolation.

– Parce que c’est ce que je sais le mieux faire.

– Parce que je considère mes livres comme autant de cadeaux que je ferais aux gens que j’aime.

–  Parce que j’adore inventer et raconter des histoires.

–  Parce que c’est une façon de mettre de l’ordre dans le monde, de lui donner du sens.

 

Jefferson de Jean-Claude Mourlevat, Gallimard Jeunesse, 13,50 euros

 

Et vous, discutez-vous avec vos enfants de l’origine des aliments qu’ils trouvent dans leur assiette ?

 

 

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4 thoughts on “Jefferson – Jean-Claude Mourlevat

  1. Merci, Françoise,
    votre papier est bien écrit, sensible, intelligent. Un vrai plaisir de lecture pour moi.
    Je suis confronté à des réactions bien moins agréables que la votre. On m’accuse de culpabiliser les adultes et de choquer les enfants. Je n’ai rencontré aucun enfant choqué à ce jour.
    .Je me contente de donner un chiffre (j’en connais peu, je suis plutôt une personne de mots) : chaque jour , 1.700.000 animaux terrestres sont abattus en France pour notre consommation. C’est beaucoup, non ?
    Très amicalement.
    Jean-Claude Mourlevat

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